BESTOUAN : La pointe du 11 mai 1991.

Une pointe au Bestouan ne s’improvise pas. Lorsque nous avions planifié cette opération nous étions persuadés de bénéficier d’un temps sec et d’un étiage relatif. Hélas la crue était au rendez-vous ce jour là.

Par contre, pour la première fois, nous utilisions en pointe une nouvelle acquisition qui allait changer toutes nos plongées lointaines l’Aquazeep ; un scooter performant et étanche. Une bouteille relais de 20 ou 18 litres était installée tous les 400 m et ce jusqu’à 2000 m soit 6 au total. Le nombre de blocs avait été calculé pour un trajet sans scooter. Le 8 mai le travail ingrat des plongeurs-navettes commence. Ils prennent les charges sur les rochers, parcourent le trajet en mer qui nous sépare de l’entrée de la grotte, pénètrent dans le boyau et déposent leurs fardeaux à la base du puits. La taille exiguë du boyau d’entrée est telle qu’il est pratiquement impossible de passer avec plusieurs blocs en même temps, ce qui nous oblige à de nombreux allers et retours. Puis entrent en piste une autre vague de plongeurs : Marc Renaud, Richard Jamin, Frédéric Bernard, Patrick Bolagno, Michel Philips et moi-même. Nous disséminons jusqu’à 1000 m les relais de la pointe, les relais pour porter les relais et les relais pour….

Le lendemain nouveau manège des plongeurs-navettes Evelyne Tépinier et Alain Kilian. Aussitôt fait, nous parachevons le portage de tous les blocs y compris ceux de la décompression que nous installons dans le puits d’entrée. Le 11 c’est le grand jour, je me jette à l’eau vers 9 h 45. Dans la nuit noire du siphon, j’illumine la galerie noyée au fur et à mesure de ma progression. Pendant quelques instants, mes phares réveillent ce monde sombre et englouti avant de le laisser à nouveau dans l’obscurité. Jonché sur ma torpille, je tiens plus du « droïde » que du plongeur. C’est le propre du spéléonaute d’être lourdement harnaché, bardé de scaphandres, de tuyaux mêlés en tous sens et autres instruments qui pendouillent ça et là. Je suis écrasé par plus de 30 m de pression, je suis au point bas du siphon. Le ronronnement du scooter est troublé par les grappes de bulles cristallines que je relâche régulièrement. Elles s’empressent de remonter vers la surface en gonflant démesurément. Mais vite, le plafond du conduit les bloquent. Il n’y a pas d’issue à la verticale. Elles restent captives en formant des miroirs argentés qui courent tout azimut au-dessus de ma tête.

Pour regagner la surface en plongée souterraine, la seule solution consiste à rebrousser chemin, à parcourir à nouveau le dédale de galeries que nous avons emprunté à l’aller, parfois dans une eau troublée par notre passage. Avec ce nouveau scooter performant je progresse rapidement et je m’offre le luxe de sauter un relais sur deux tant ma consommation est diminuée par cette aide mécanique. Après 60 minutes d’immersion je suis au point 1400 m. Là où la galerie effleure la surface –1 ou –2. Le peu d’expérience que j’ai du Zeep me fait douter de son autonomie et je décide de poursuivre à la palme (si on peut dire). Là commencent les réjouissances, je plante les doigts dans la glaise pour me tracter en appuyant sur les palmes, le courant est toujours très violent au regard de la section du siphon. Il y en aura pour deux heures à ce régime. Quand j’arrive à 2900 m, mon ancien terminus, mon bi-20 est à 200 bars, de quoi faire du chemin. Je raboute rapidement mon touret à l’ancien fil et fonce vers ces terrains vierges que personne n’a foulés avant moi. Cette grotte, cette galerie, je l’invente, c’est mon passage qui la sort du néant. La fascination que nous ressentons en « première » est indéfinissable, c’est fantastique. Je m’identifie à tous les grands aventuriers qui ont exploré la planète : Marco-Polo, Magellan, Christophe Colomb, Dumont d’Urville, etc. Je retrouve l’ambiance des Jules Vernes de mon enfance ou plus humblement celle de  Tintin, dans « On a marche sur la lune ».

Hélas quelques mètres plus loin, je bute sur un dédale de galeries en conduite forcée toutes impénétrables. Pendant 30 minutes j’essaye de franchir ces rétrécissements, mais je dois me rendre à l’évidence, malgré le courant violent, la suite praticable, s’il en est une, n’est pas ici. A 2950 m de l’entrée il est 13 h 15, je fais demi-tour avec une visibilité quasiment nulle sur plus de 100 m. A 1500 m, je regarde mon bon Aladin, il n’aime pas ces profils en dents de scie, il me recommande de commencer ici même la longue décompression. Je m’arrête quelques instants puis, un peu inquiet et sous ses bip-bip réprobateurs, je passe le plus vite possible la barre des trois mètres de profondeur. Trois minutes plus tard je suis à nouveau vers 6 mètres de pression, l’ordinateur s’est calmé, mais je sais pertinemment que le risque d’un accident persiste. Au parking à Zeep de 1400, je dépose deux relais et récupère ma monture. Pourtant je dois vite renoncer à cause de la visibilité : le Bestouan si clair à l’aller n’est plus que le grand boueux. C’est donc à la palme et avec le courant dans le dos que j’effectue le retour à la vitesse « V ». Après 5 h 30 d’immersion, je suis à la base du puits et j’entame mes paliers à l’air à –9. Quinze minutes c’est vite passé. Quand je passe à la profondeur de 6 mètres je respire de l’oxygène pur. Alain, respectant scrupuleusement le timing établi le matin, vient aux nouvelles. Nous discutons en pleine eau à l’aide d’une ardoise. Je lui explique la situation, en particulier la localisation des blocs que j’ai laissés ça et là. Mais surtout je lui dis combien je suis atterré d’avoir stoppé si prématurément l’exploration. il me déleste de toutes les bouteilles vides et m’apporte de quoi égayer la longue décompression qui m’attend. Dans ses bagages, je découvre de la lecture et une série de grandes seringues pleines de bonnes choses, du riz, de la soupe, de la semoule au chocolat, du yaourt, etc.

Je dois patienter 90 minutes encore avant de franchir un pas et monter à –3. Je consulte à tout hasard les tables de secours du fameux Hand-book de l’US NAVY, au cas où mes ordinateurs seraient en panne. Je le referme vite avec un grand frisson dès que j’ai traduit les minutes annoncées en heures.

Dehors, c’est le conciliabule pour savoir qui va chercher quoi, mais l’ambiance est morose, tous sont déçus de cet arrêt brutal. Ils ont la désagréable sensation de mettre un terme à une grande aventure qui a mobilisé toute une équipe pendant presque deux ans.
Finalement c’est Fred qui file à 1400 m chercher les bouteilles relais, tandis que Patrick va à 800 m. Au passage l’un et l’autre me font un brin de causette. Quand Patrick ressort, cela fait presque quatre heures que je grelotte au palier. Ma couche culotte commence à avoir des petites fuites et mon bon « Aladin » est toujours bloqué à 99. Il n’a que deux digital et si le temps de palier restant est supérieur à 100 minutes il affiche 99. Toutes les bonnes choses ayant une fin, il daigne enfin commencer son compte à rebours. L’ordinateur indique encore 60’ c’est le signe que j’attendais pour sortir. L’oxygène me permettant de réduire sensiblement mon temps de palier calculé pour l’air. Quand mes lampes crèvent la surface de la mer il est 19 h 50, j’ai trempé pendant un peu plus de 10 heures.

Marc DOUCHET

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