Les Cloches de Décompression

Les paliers sont le prix parfois exorbitant de la plongée. Leur durée est actuellement, sans conteste, la plus importante limite des explorations en plongée souterraine, bien au-delà de l’autonomie, surtout depuis l’arrivée des recycleurs.
Plusieurs facteurs font de ces paliers une véritable épreuve de force.
Tout d’abord le FROID . Que ce soit par la transpiration durant la progression, ou par la capillarité au niveau des poignets et de la cagoule, quand ce n’est pas par une petite fuite sournoise, quelque soit le soin apporté à sa protection thermique, le plongeur n’est jamais parfaitement sec et, avec le temps, inexorablement le froid gagne.
Et, à moins de disposer d’une technologie légère qui réchaufferait parfaitement le plongeur en immersion, la température de l’eau, sous nos latitudes en tout cas, est difficile à supporter au-delà de quelques heures.
Plus que le côté inconfortable du froid, il faut le redouter pour des problèmes essentiels de sécurité. Entre autres, la vasoconstriction liée au froid limite la désaturation des tissus.
Pour simplifier, plus le corps se refroidit, moins les gaz inertes dé-saturent.
Ensuite, la FAIM et la SOIF.

La déperdition calorique et la déshydratation en milieu aquatique sont démesurées et obligent les plongeurs à se restaurer et à boire lors des longues immersions. Il ne faut pas oublier que la déshydratation est un facteur favorisant l’accident de décompression. Sous l’eau il est possible de boire et de manger, mais ce n’est pas simple et pas toujours bon.

Enfin il ne faut pas négliger l’ ISOLEMENT et l’ IMMOBILITÉ .

Malgré les visites des plongeurs de soutien, la solitude du plongeur aux paliers peut devenir éprouvante au bout de quelques heures .

L’utilisation d’une cloche de décompression permet de résoudre partiellement ces problèmes. Hors de l’eau, à température extérieure égale, le plongeur se refroidit beaucoup moins vite. D’autre part, il peut facilement s’alimenter, parler avec les « visiteurs », lire, écouter de la musique.

Historique

Depuis quelques années, à la façon des plongeurs professionnels, les SPELEONAUTES ont imaginé, souvent à moindre frais, des habitacles subaquatiques pour les paliers les plus longs .

En 1985, lors de sa plongée à -153 à Fontaine de Vaucluse, Claude TOULOUMDJIAN avait prévu de réaliser une partie de ses paliers dans des parachutes installés entre -12 et -6.

A Wakula, les américains ont construit une cloche avec la démesure de leurs moyens financiers et du gigantisme de la vasque d’entrée. Là, plusieurs plongeurs peuvent effectuer leurs paliers en même temps totalement au sec et confortablement assis. Un palan installé à l’intérieur de la cloche leur permet de remonter l’habitacle au fur et à mesure de la désaturation

Plus près de nous, en 1991, Olivier ISLER avait construit son SWEET HOME pour garder le haut du corps au sec lors de sa dernière pointe à la Doue de Coly.

Depuis 1992, forts de ces quelques expériences, les provençaux se sont lancés dans l’utilisation systématique de la cloche de décompression.
En trois ou quatre ans, par tâtonnement ils sont arrivés à perfectionner peu à peu une technologie bon marché.

 

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Photos Hervé CHAUVEZ

La taille et le volume

Le premier choix qui se pose dans la conception d’une cloche concerne la forme et le volume de celle-ci.
Entre la méga-solution américaine et la mini-solution suisse, les provençaux ont essayé de définir le PPVU (Plus Petit Volume Utile) pour deux plongeurs assis, entièrement au sec, jambes à l’horizontale.

Mesures à l’appui, ils ont opté pour un volume de 80 cm de large sur 1,10 mètre de long et un mètre de haut. Cette solution s’est montrée très satisfaisante à l’usage et constitue un bon compromis volume/confort (très légèrement inférieur au m3).

Souple ou rigide

C’est le deuxième choix important.
En fait, tout dépend de l’endroit où la cloche devra être installée.
Pour leur première expérience, l’idée des plongeurs était de mettre au point une cloche utilisable au Durzon (pour ceux qui ne connaissent pas ce réseau, il y a une sévère étroiture à l’entrée). Donc il y avait obligation de faire une cloche pliable, facilement transportable et facile à installer .

Elle se compose de 2 parties :
•    une toile étanche cousue collée en forme de chariot western,
•    un cadre en inox démontable passé à l’intérieur de la toile. Ce cadre a l’avantage de servir de base aux sièges mis aux extrémités de la cloche et de maintenir sa forme sans, risque pour le plongeur d’être avalé par l’ ascension inopinée de la cloche en, cas de rupture des amarrages .

Cette solution souple a été utilisée avec succès au DURZON, au BESTOUAN, à ST-GEORGES, à la FOUX DE LA VIS et à PORT MIOU.

Pourtant il existe de nombreux inconvénients à cette solution :

•    Tout d’abord la fragilité: le matériel est fragile et le moindre accroc compromet son utilisation.
•    Ensuite, la réalisation soignée et étanche est délicate et coûteuse. La première a coûté environ 1500 francs, livrée avec ses faiblesses et ses fuites, d’où le renfort en sangle pour éviter la déchirure des coutures. Pour la deuxième génération : même taille mais conception et réalisation plus soignée et garantie étanche (2 600 francs nue et crue en 1996). La troisième génération a coûté environ l’équivalent de 3 800 F en juin 2002.

A la solution souple, on peut préférer la solution rigide :

Les américains, pour leur part, utilisent souvent des abreuvoirs, quant à nous, nous avons opté pour des containers poubelle. Les avantages sont nombreux pour compenser les problèmes évidents de taille, de  transport et de manipulation.

1.    Le moindre coût, l’équivalent de 2 à 3 000 francs pour un container neuf, à moins d’une récupération.
2.    La parfaite étanchéité
3.    La robustesse
4.    Les dimensions de certains containers correspondent exactement au PPVU
5.    La facilité de réaliser la mutation d’une simple poubelle en une superbe cloche à plongeur dite Poubelle.

Points d’ancrage

Une fois la cloche réalisée, il faut l’amarrer.

Les points d’ancrage sont un point essentiel de sécurité et doivent résister à une traction importante (de l’ordre de la tonne provoquée par 1m3 d’air) .
La solution la plus simple, lorsque cela est possible, est le Spit employé en spéléo. En théorie, une seule de ces chevilles est capable de supporter la traction de la cloche gonflée.
Bien que très confiants dans la résistance à l’arrachement des Spits, nous préférons tout de même en planter 2 à chacune des quatre chaînes d’arrimage.
Il faut compter un peu moins de 10 minutes pour planter un Spit sous l’eau.
Pour la petite histoire, nous avons essayé d’utiliser des perforateurs pneumatiques, il y en a de très performants mais ils sont grands consommateurs de gaz (environ 400 litres/mn à pression atmosphérique).

Parfois, le site ne permet pas l’emploi des Spits.
C’est le cas à Port Miou et à Gourneyras (pas de roche franche et compacte sur le site) . A Port-Miou, nous avons construit une panière en corde, grillage et chaîne pour y entasser un tas de cailloux de l’ordre de deux mètres cubes.

Une autre solution pratique : le sac à gravats de chantier (volume moyen 1/2 m3, 150 à 200 € le sac) . Il est bien certain que le tas de cailloux n’est pas le meilleur rendement volume poids, mais son avantage réside dans le fait que les cailloux sont sur place et gratuits. Dans le cas où cela ferait défaut, nous avons envisagé l’achat de plombs en. lingots. Attention : se méfier des lests utilisés dans les chantiers comme le béton, en effet certains bétons ont une densité faible voisine de 1,4.

Pour l’arrimage, nous avons préféré l’emploi de la chaîne à celui de la corde pour des raisons de résistance au départ, même si la corde est souvent donnée pour 2 tonnes et plus de traction. Mais, à l’usage, nous avons surtout découvert qu’il était beaucoup plus facile de mettre  la cloche à niveau avec les chaînes. Attention à la qualité de cette dernière: la chaîne d’ancre semble convenir parfaitement.

Fixe ou Réglable

C’est un choix important, dépendant souvent du profil de la plongée ou du site des paliers.
Pour qu’elle soit réglable, nous avons installé un palan, sous sa structure. Nous aurions pu envisager de mettre le palan dans la cloche elle-même mais le PPVU (plus petit volume utile) aurait été insuffisant, et plus encore, nous aurions dû solutionner le « compatibilité graisse du palan/milieu suroxygèné de la cloche ».

Inconvénient majeur de la solution retenue, pour manœuvrer le palan il faut être en pleine eau. C’est le travail qui incombe aux plongeurs d’assistance. Pour un plus grand confort d’utilisation, sous la cloche nous avons installé un treillis métallique réglé de telle façon que debout, nous ayons le buste dans la cloche.

L’apport des gaz

A noter que rien n’empêche le plongeur de garder son recycleur en bouche dans la cloche, à part l’inconfort.
L’arrivée des gaz se fait souvent depuis la surface (lorsque cela est possible) avec un narguilé, mais pour ne pas oublier la sacro-sainte double sécurité, il faut prévoir des bouteilles/détendeurs de secours à portée de la cloche. Attention lorsque l’on utilise un narguilé en surface: c’est l’assistance extérieure qui gère les gaz. D’où une grande vigilance en haut et une grande confiance en bas. Un système de communication cloche plongeur est souhaitable (généphone, téléphone…) De plus pour éviter toute rupture de l’acheminement des gaz, le narguilé doit être branché sur deux bouteilles avec un jeu de vanne quart de tour.

Voyons un peu maintenant la respiration et l’expiration dans la cloche.
Pour la respiration: on connaît, il y a le détendeur.
Par contre deux problèmes se posent en ce qui concerne l’expiration :

1.    L’accumulation de CO2 dans la cloche, ce qui représente un réel danger lorsque l’on respire le gaz ambiant de la cloche, par exemple en mangeant ou en parlant aux visiteurs .
2.    La suroxygénation de l’atmosphère de la cloche qui engendre des risques d’explosion conjuguée à une quelconque étincelle (Walkman, généphone, etc. . .)

Pour réduire ces risques, la respiration dans un groin muni d’un déverseur est indispensable. En ce qui nous concerne, nous nous sommes contentés d’un déverseur bricolé avec un tuyau annelé et le deuxième étage d’un Maximum Poséidon réglé à la bonne hauteur à l’extérieur de la cloche.
Pour information le groin, ou le masque confortable qui va bien et pendant longtemps, reste encore à trouver.

Malgré l’emploi du masque déverseur, les fuites des gaz expirés persistent et pour régénérer l’air de la cloche, nous y insufflons en permanence de l’air (à raison de 15 a 20 litres/minute à -6 mètres ). Pour manœuvrer la cloche, remplissage et vidange des gaz, nous avons installé deux vannes quart de tour à chaque extrémité de la cloche avec commande extérieure et intérieure pour faciliter son transport et sa mise en place.
Pour plus de sécurité, nous utilisons un généphone qui simplifie considérablement l’assistance et la surveillance du plongeur en désaturation.
Notez que pour le transport au sec des objets ou denrées il ne faut pas oublier de prévoir une vis de purge à vos caissons étanches, même à -6 il est impossible d’ouvrir une cocotte minute.

Conclusion

Si l’utilisation de la cloche est un atout de sécurité et de confort il ne faut pas oublier qu’elle engendre de nouveaux dangers qu’il faut envisager très sérieusement avant son utilisation :

•    Rupture de l’arrimage: la cloche monte instantanément en surface, le plongeur avec: surpression, accident de décompression, etc…
•    Fuite importante : la cloche coule rapidement emmenant avec elle le plongeur prisonnier et sans autonomie. Un moyen relativement simple permet de limiter les dégâts en fixant la cloche aussi par le haut.
•    Explosion de la cloche: conséquence inconnue mais facile à deviner. Pour réduire ces risques, nous avons l’obligation de maintenir le taux d’oxygène inférieur à 30 %, de rendre inertes tous les appareils électriques et d’éviter les mécaniques imprégnées d’huile à l’intérieur de la cloche (même si ce risque est très faible, voire quasi-nul, il est préférable de prendre des précautions de bon sens).
•    Essoufflement : lié à la respiration d’une atmosphère chargée en CO2.
•    Dangers de l’hyperoxie : ne pas tenter le diable et se contenter d’une pression partielle d’O2 en deçà des normes, même si l’exposition à une pression partielle élevée en O2 semble plus facilement acceptée par le corps humain au chaud et au sec que dans l’eau froide.

Cette liste non exhaustive est à étudier en détail.

Mais que cela ne soit pas pour autant un obstacle infranchissable. Une plongée avec 6 heures 40 de palier au Durzon où l’eau est à 10° m’a convaincu du bien fondé de la cloche de décompression.

Marc DOUCHET

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